Pianiste de renommée internationale, Alexandra Stréliski est aussi ambassadrice de la campagne L’heure est brave. À l’occasion des Conférences de la montagne dont elle est panéliste, nous l’avons rencontrée et découvert une artiste dont les convictions et les espoirs rejoignent ceux de l’Université de Montréal.
Autrice de trois albums à succès – Pianoscope (2010), Inscape (2018) et Néo-Romance (2023) -, Alexandra Stréliski ressemble à sa musique : nuancée, rêveuse et lumineuse comme un lendemain de pluie. Et pour cause : la soliste a fait de son fidèle piano droit un confident indiscret qui, si on l’écoute bien, nous dit tout de ses peines, de ses joies et même de ses engagements.
Depuis Rotterdam, où elle passe une partie de l’année avec sa compagne enseignante à l’université, on a trouvé notre ambassadrice en cadence avec ce qu’elle ressent, sans calcul ni filtre, guidée par une spontanéité à fleur de peau qu’elle a appris à dompter. Ad Libre, pour reprendre le titre qui ouvre son dernier album.
Accords perdus

Quand on l’interroge sur son histoire, son engagement auprès de l’Université de Montréal ou les enjeux du moment, c’est ce même arpège de franchise désarmante et de recul serein qu’on entend.
« Si je n’avais pas eu de piano, c’est certain que j’aurais vécu des épisodes d’anxiété, assure-t-elle par exemple. Pendant mon enfance, j’intériorisais beaucoup mes émotions. Et vers la mi-vingtaine, j’ai tout pris dans la gueule ! »
À l’époque, elle travaille encore dans la publicité. Son premier album, sorti en catimini, connaissait un succès prometteur. Mais tout explose à la suite d’un burn-out professionnel. Une rupture, la dépression, la crise de vocation… C’est la dégringolade. Son lent processus de guérison culminera avec Inscape, son deuxième album, composé entre cette phase de dépression et le bonheur retrouvé. Elle y a glissé un titre évocateur : Burnout Fugue.
On lui fait remarquer combien sa trajectoire résonne avec le Parcours Résilience, cette initiative du pilier 1 de la campagne qui prend soin de la santé mentale de la communauté étudiante. Elle s’enthousiasme : « C’est important de s’engager sur cette question pour les jeunes ! Les réseaux sociaux nous confrontent à des gens en apparence parfaits, qui ont une vie et une communication hyper maîtrisées. Quand cette “perfection” percute notre vie de tous les jours ça peut être douloureux… »
Des inquiétudes…
Mais actuellement, Alexandra Stréliski est comme tout le monde : inquiète. La situation aux États-Unis lui rappelle de mauvais souvenirs. « On a l’impression que les choses se répètent, que l’histoire bégaie, regrette celle qui s’est récemment découvert des ascendances juives polonaises. Pourtant, la propagande, le fascisme, on sait à quoi ça ressemble, on devrait les reconnaitre ! Ce qu’ils sont en train de faire, c’est d’installer un régime de peur. Alors il faut parler. Lutter. Et se souvenir. »
Outre l’honneur d’être sollicitée par son alma mater, c’est dans ces valeurs qui lui sont chères qu’elle puise sa motivation d’ambassadrice de L’heure est brave. « Je me considère comme une militante du savoir et la campagne va dans ce sens, estime-t-elle. Les universités n’ont jamais été aussi utiles qu’aujourd’hui. Il faut le faire comprendre et rappeler leur force et leur importance. »
Loin de son univers musical situé quelque part entre Philippe Glass, Max Richter et Yann Tiersen, on découvre une autre Alexandra Stréliski. Plus proche de celle qui militait avec les Carrés rouges du temps où elle étudiait à l’UdeM. Les nuances sont toujours là, le cœur aussi, mais on la sent impliquée, concernée, alignée avec les défis de l’époque et les objectifs de la campagne.
Elle poursuit : « Les bouleversements de l’IA le prouvent : nous, humains, sommes capables d’inventer des choses qui nous dépassent, alors il est essentiel de légiférer, de réglementer et d’éduquer. Notre rapport à l’information et à la vérité est si perturbé qu’il va être essentiel d’avoir des gens bien formés. » Sans le savoir, Alexandra vient d’énoncer ce qui a motivé l’UdeM à créer son fonds pour lutter contre la désinformation.
Mais aussi des espoirs
En fait, celle qui ne jure que par le contact avec le public regarde l’hyper numérisation de nos vies avec circonspection. Humainement, elle ne s’y retrouve pas. « Toute cette dopamine que les plateformes envoient dans nos cerveaux pour nous garder connectés, c’est un cercle vicieux, s’alarme-t-elle. Et encore : nous sommes de l’ère d’avant-internet… Pour les jeunes qui sont nés avec, ça doit être tellement difficile ! »
Mais comme sur ses albums, l’espoir n’est jamais très loin chez Alexandra Stréliski. « Je crois que nous sommes à l’aube d’un mouvement de contre-culture, d’un retour à l’analogique… espère-t-elle. Déconnecter de nos écrans, cultiver, se reconnecter à la nature, ça revient en force. » Comme un symbole, l’un des plus beaux morceaux de Néo Romance s’intitule d’ailleurs Dans les bois. « Autour de moi, je le sens, continue-t-elle, tout le monde rêve de la même chose : une grande terre, des maisons et vivre ensemble. »

Et quand on lui demande ce qu’elle accomplirait si elle avait des moyens illimités, c’est ce vivre ensemble, ce bien-être des communautés qui prend toute la place. « Je construirais des logements intergénérationnels pour retisser des liens entre les jeunes et les personnes âgées, lance-t-elle sans hésiter. Pour qu’ils se croisent, pour qu’ils se parlent… C’est une question de respect, de transmission, de résistance à cette envie d’être centré sur soi. On vit dans une époque hyper individualiste qui nous a rendus irrespectueux des personnes âgées. Alors que ces personnes-là, dans deux secondes, c’est nous ! Leur solitude me touche… » On repense à l’émouvant morceau Le Vieillard dans Pianoscope et on se dit que ça ferait un beau projet pour notre pilier 4.
Interstices
Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’entendre une soliste se préoccuper autant de collectif. Et pourtant ! Celle qui a longtemps été paniquée à l’idée de monter sur scène y trouve désormais le sens véritable de ce qu’elle fait. Plus que ses 600 millions d’écoute et ses dix Prix Félix, c’est d’avoir rempli quatre Wilfried Pelletier et réuni 100000 personnes sur les Plaines d’Abraham qui fait son bonheur. « Régulièrement, je dois me souvenir que c’est en train d’arriver… Je ne comprends toujours pas pourquoi on s’intéresse à moi (rires). »
On a peut-être une réponse à cette question. Une réponse qui fait étrangement écho au message d’espoir de L’heure est brave. Il y a chez Alexandra Stréliski un goût de l’interstice, de la transition, du changement qui résonne dans ses notes et avec l’époque. Raison pour laquelle, sans doute, sa musique ponctue certains films de Jean-Marc Vallée qui était travaillé par les mêmes questions. « Dans ces entre-deux, il y a des nuances, des subtilités, des contrastes qui sont passionnants pour une artiste, précise-t-elle. J’y trouve de l’inconfort, de l’espoir, de la crainte, de la curiosité, la perte qui côtoie la plénitude aussi. »
C’est ce maelstrom de sentiments que vient chercher son public. Parce qu’il est universel d’abord ; parce qu’il débouche sur une lumière surtout. Le Départ à la fin de Pianoscope, Le Nouveau Départ qui referme Inscape, a new romance qui conclut Néo-Romance… Chacun de ces albums se referme sur cette promesse de renouveau et de lendemains, comme une bande-originale de notre vie et de notre temps qui nous dirait : fais le point, regarde le passé dans les yeux et tourne-toi vers ce qui s’en vient.
